On a de très vagues souvenirs d'un voyage familial à Florence qui remonte à ce qui semble être un siècle, lorsque maman organisait tout, que papa mettait la main au portefeuille et que on se résignait à un itinéraire imposé - oui, on était une famille très bourgeoise aux rôles aussi définis que peu originaux.
Après presque quinze ans, mon revanchisme prend le dessus et on décide de "reprendre" la ville. Bien sûr, les voyages en famille sont géniaux, surtout si vous avez des parents qui vous emmènent dans des hôtels de luxe et ne mangent qu'au restaurant, mais vient ensuite la phase de la "jeune fille de vingt ans", avec le démon de trente ans et un porte-monnaie nettement plus mince. Cette phase où vous êtes prêt à avaler des kilomètres en tongs, à dormir à même le sol, à ne manger que de la nourriture achetée au marché local, à prendre des photos de peintures murales plutôt que de monuments. La phase où vous faites les choses à votre façon, en somme.
Peu avant d'arriver à la gare routière, on reçoit un colis de dernière minute des deux Couchsurfers avec lesquels on avait convenu de l'hospitalité, mais on est sauvé par Federico, un gars au cœur d'or, de ceux qui font encore confiance pour laisser la clé sous le paillasson. Federico n'a pas de cheval blanc, mais il vole en montgolfière, ce qui pour soi est encore plus cool ! C'est justement à cause de son travail particulier qu’on aura malheureusement peu de temps pour être ensemble.
On salut Federico qui part pour les collines du Chianti et on monte dans le tramway pour le centre. Le premier geste, comme toujours dans mes voyages, est de chercher une carte gratuite à l'office du tourisme.
On est peut-être à l'ère de l'informatique, mais on a besoin de voir les messages sur papier. Et pourquoi cela ? Car avec M. Maps qui vous insulte dès que vous quittez l'itinéraire, vous n'êtes plus perdu !
La carte suffit à l'orienter à l'envers et vous vous retrouvez à admirer des vues que vous n'auriez jamais découvertes avec M. Maps. Eh bien, on est de ceux qui prennent presque toujours la carte du mauvais côté. Qui est en fait le bon.
Le premier arrêt est la parfumerie de Santa Maria Novella, dont l'entrée est gratuite, avec des toilettes super propres et parfumées, la joie de tout voyageur pisseux ! On se dirige ensuite hardiment vers Santa Maria del Fiore et là, on se trompe de carte (cvd) et on se retrouve au milieu du délicieux jardin urbain de la Piazza dei Tre Re. Toujours avec la carte erronée, on tombe sur une petite papeterie où on achète des cartes postales faites à la main et, après un jeu de piste arrosé, on se retrouve devant la magnifique cathédrale de Santa Maria del Fiore.
On prend son temps pour admirer la Coupole de Brunelleschi et le Campanile de Giotto, en pensant à la façon dont on les avait retirés. Comme la mémoire peut être drôle, me faisant me souvenir du gigantisme d'une ville que l'on peut parcourir à pied et qui efface les œuvres d'art, et retenant ensuite les choses apparemment insignifiantes, comme les dîners florentins avec maman et papa, lorsqu’on était ponctuellement harcelés par le serveur de l'hôtel qui venait de partir et ne savait pas quoi faire de cette nouvelle maison pleine de rêves et de projets conjugaux.
On écrit quelques notes sur mon carnet sur la Piazza della Signoria, assis au milieu des statues de la Loggia dei Lanzi et on termine la soirée en beauté au Ponte Vecchio, en essayant d'apercevoir le coucher du soleil au milieu de la foule des touristes, avec dans les oreilles les chansons de deux talentueux artistes de rue. On dîne à proximité avec Federico et deux de ses amis "aérostiers", qui me parlent de festivals et de courses de montgolfières, ou des Russes qui trinquent au champagne en vol.
Le lendemain matin, on rencontre Eleonora, une jeune aventurière amoureuse de l'Europe de l'Est, qui me montre la terrasse du Museo degli Innocenti et sa vue imprenable. On déjeune ensemble au marché de Sant'Ambrogio, idéal pour un bon repas rapide et bon marché, puis on lui dit au revoir, avec l'intention d'aller au Forte Belvedere. En passant devant le palais Pitti, on trouve la deuxième chose qu’on recherche toujours lors de mes pérégrinations, un salon de thé.
Ce sont ces petits besoins simples, "à la Amélie", qui réchauffent le cœur et soignent les cicatrices.
Toujours à propos de besoins, en arrivant au Forte Belvedere, on a découvert Gong, une exposition consacrée à Eliseo Mattiacci qui accueille également Recupero di un mito (1975), une installation de sable fin et de portraits de chefs amérindiens qui occupe deux salles entières. Les pieds nus immergés dans le sable et déjà mes yeux sont pleins de mers, d'océans, de vagues et de joie.
En quittant le Fort, on décide de me rendre au Jardin des Roses. On y rencontre Antonio, un architecte à la retraite dont les histoires lui ont valu de figurer sur la liste des personnes à rencontrer au moins une fois dans sa vie. Il me parle du château d'Ezra Pound, de sa vie, de la maison de ses rêves dans les collines toscanes, de deux professeurs d'anglais qu'il a rencontrés dans ce même jardin, de son livre sur sa ville natale. Ensemble, on va voir la belle église de San Miniato, puis on descend à Santa Croce, où il me montre sa maison, un grenier aux poutres apparentes d'un film français. C'est maintenant le soir qu’on dit au revoir à Antonio et c'est avec un sourire qu’on rentre chez soi. Avait-on d'autres plans ? Bien sûr, mais on ne se souvient même pas de ce qu'ils étaient, on n’aurait pas pu souhaiter une meilleure compagnie.
Les plans sont également faits pour être modifiés, lorsque la vie décide de vous donner non pas ce que vous voulez, mais ce dont vous avez besoin.
Le lendemain matin, on doit retourner à Gênes. Avec le sachet de thé de la boutique et le livre qu'Antonio m'a donné dans les mains, on sourit par la fenêtre. On a l'impression d'avoir fait la paix avec ma mère qui me traînait dans les rues et avec le soi de ses années de collège, qui avait une idée complètement fausse de Florence.